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mardi 10 juin 2008

Tout doucement, en silence !

Il y a plus de 20 ans, au cœur de la station RER Chatelet Les Halles, j'ai vu un groupe de personnes étranges réunies, agitant les bras et les mains dans tous les sens, faisant des grimaces, poussant des cris rauques de temps en temps et se tapant sur les épaules sans aucune discrétion. C'était ma première rencontre avec des sourds, placée sous le signe de l'incompréhension et du rejet. Je n'en garde pas de fierté particulière, ni de honte particulière. Je me souviens, c'est tout. Comme souvent, c'était l'inconnu qui me faisait plus peur qu'il ne m'attirait.

10 ans plus tard, j'ai eu l'occasion de travailler avec des sourds. Cela a été une très grande expérience, tant humaine que professionnelle.
L'idée de l'entreprise pour laquelle je travaillais à l'époque était d'inclure des sourds dans le personnel. Cela n'avait rien d'altruiste ; la loi faisait (et fait encore) obligation aux entreprises d'employer des travailleurs handicapés ou à payer des indemnités. Selon nos services de ressources humaines, les sourds semblaient être les handicapés les plus facilement adaptables au monde de la distribution spécialisée et leur embauche permettait de ne plus payer les amendes et de bénéficier de réduction de cotisations sociales.

A l'époque responsable de service, on m'avait demandé si j'étais d'accord pour accueillir un ou deux sourds dans mon équipe. J'ai accepté, mais pas par pure bonté d'âme : cela représentait un nouveau challenge pour moi et un nouveau moyen de montrer mes capacités à mes supérieurs hiérarchiques. Ambition, quand tu nous tiens...

Ce sont donc deux sourds qui ont intégré mon équipe. Je pense que c'est avec eux que j'ai vraiment appris le vrai sens de l'expression "capacités d'adaptations". Et je parle pas de la leur ! Ils se sont superbement intégrés dans l'entreprise, aidés il est vrai par le reste du personnel et par l'entreprise qui souhaitait ne pas faire les choses à moitié. Par exemple, leur présence dans nos locaux avait obligé, à l'époque, la révision complète des mesures de sécurité et d'évacuation en cas d'alerte incendie. Ou encore, leurs entretiens d'évaluation étaient fait en présence d'un interprète français/langue des signes.
Il faut dire que, même après près de 2 ans avec eux, je ne connaissais que quelques mots de la LSF (langue des signes française) et les bases de construction d'une phrase. Parce que, pour un entendant, la LSF est une langue étrangère, tout comme le français est une langue étrangère pour un sourd.

Mais le plus important, c'était que nous arrivions à communiquer. Ils faisaient plus d'éfforts que moi, l'un d'entre eux lisait sur les lèvres et l'autre était appareillé, mais ils étaient si heureux de travailler "normalement" qu'ils le faisaient avec plaisir. J'ai passé des heures à écouter leurs parcours personnels, les problèmes qu'ils rencontraient tous les jours à cause de leur handicap ou ceux qu'ils avaient connus jeunes pour apprend la LSF.

La LSF, c'est le seul moyen qu'on deux sourds français d'échanger entre eux. Pourtant, de 1880 jusqu'en 1982, l'apprentissage de la LSF était interdit en France. Avant cette date, on obligeait les jeunes sourds à apprendre à parler, ce qui, pour quelqu'un qui n'entend pas, est très compliqué. La LSF s'apprenait sous le manteau, en secret... Ce n'est qu'en 1991 que l'éducation en LSF à été autorisée.
Il y a donc une vieille tradition de rejet dans la société française. Aujourd'hui, l'illettrisme (on sait lire, mais on ne comprend pas ce qu'on lit) touche 90% des sourds et la LSF est toujours enseignée avec parcimonie. Au moment ou le président de la République présentait son plan d'aide aux handicapés, des sourds étaient en grève de la faim à Paris pour réclamer que l'enseignement de la LSF soit plus important.

En arriver là alors que c'est un français, l'abbé de l'Epée, qui est à l'origine de la langue des signes est plutôt paradoxal. Journée du handicap ou pas, la France a encore un long chemin à parcourir avant de dire qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour les handicapés. Il suffirait tout simplement que, un jour, dans la gare RER Chatelet Les Halles, un jeune homme n'ait pas peur de ces gens curieux qui bougent les mains et les bras en faisant des grimaces. Ou vous...

Photo: Emmanuelle Laborit

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